juste un verre

– Tu veux vraiment m’emmener là-dedans ? fit la voix agacée de Rhys tandis qu’il observait la façade du « Wild World ».

Selon Lily, il avait besoin d’être en immersion avec d’autres loups. Et donc, elle avait choisi ce bar. Son regard se déplaça vers la file de motos qui se trouvait en face. Il y avait des bikers ? Rhys n’en avait jamais vu à New-York.

– On est des loups, on est censés être sociables, rappela Lily, exaspérée. Et je viens souvent ici, c’est un chouette bar.

Un « mouais » peu convaincu s’échappa des lèvres du loup-garou. Il soupira, acceptant sa défaite, et suivit sa thérapeute qui était fière d’avoir gagné une bataille. D’accord, l’intérieur était sympathique. Et puis, l’ambiance changeait des autres pubs. Ici, il y avait de la bonne musique et personne ne se tabassait dessus – enfin, pour l’instant.

Lily savait où aller. Ils vinrent s’asseoir à une petite table ronde et le gallois ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil dans les alentours. Ses narines en profitèrent pour renifler discrètement l’air. Ouais, y avait bien d’autres personnes de sa… race. C’était étrange d’être entouré de gens comme lui. Comme d’habitude, c’était sa thérapeute qui commandait. C’était une serveuse brune, plutôt jolie, qui vint près d’eux. C’était une louve, Rhys l’avait senti. Est-ce qu’il y avait une meute ? C’était probable... Le gallois espérait seulement que les solitaires étaient bien vus.

Ils commandèrent donc deux liqueurs – les moins fortes pour commencer.

– Tu connais des gens, ici ? demanda Rhys avant de lamper son verre.

Il fit une petite grimace face au goût. C’était l’alcool le moins fort, ça ?

– Euh… pas vraiment, répondit Lily. Je viens souvent avec des amies louves mais je parle pas aux autres. Je sais que…

Elle s’arrêta, essaya de se faire discrète, pour ensuite pointer de la tête une serveuse aux cheveux blonds.

– … cette fille fait partie d’une meute.

C’était rare que Rhys fasse la commère mais il avait envie d’en savoir plus sur son identité refoulée. Et puis, il voyait ça comme une sorte de séance gratuite (mais il ne parlait pas de ses problèmes, il était en public quand même !). Ils n’étaient pas discrets, car un des mecs assis au bar leur jetait des coups d’œil méfiants. Il est vrai qu’ils discutaient de manière suspicieuse mais ils ne faisaient de mal à personne.

Et peut-être qu’il allait se faire des nouveaux amis.

Ouais, nan… ce n’était pas le genre de Rhys.

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Lily n’en savait pas plus sur ladite « fille de la meute ». Déçu, mais peu surpris, ils changèrent de sujet. A chaque fois que Rhys tentait d’en apprendre plus sur sa nouvelle identité – enfin qui datait quand même des années 80, quelque chose l’empêchait d’aller plus loin. C’était une des raisons pour laquelle il refusait d’admettre sa condition. Et il se voyait comme une atrocité, une créature… une abomination.

Alors que le gallois était prêt à se lever pour partir d’ici, quelqu’un s’approcha d’eux. Les narines de Rhys lui lancèrent une alerte : un loup s’approchait. Il tourna la tête pour voir qui venait vers eux et, quelque peu étonné, il vit que c’était en fait la fille de la meute. Cette dernière s’arrêta près d’eux pour leur parler. Elle les salua, puis reconnut Lily. Celle-ci eut une expression surprise et échangea un regard avec son ami, avant de répondre (enfin, essayer) :

– Oh, vous pouvez vous asse-

Elle avait déjà pris une chaise pour s’asseoir. C’était le lieu de son travail, après tout. Tandis que le bras de Rhys était posé sur le dossier de la chaise, il l’écouta parler. Les mâles… ouais, cette fille savait ce qu’ils étaient. Et ce n’était pas étonnant, si le gallois pouvait la sentir alors les autres aussi. Donc, elle demandait leur avis sur un thème pour leur bar. Fallait pas compter sur Rhys pour trancher la décision. Ce fut donc Lily, tout sourire, qui répondit.

– C’est une très bonne idée. Au moins, tout le monde peut s’amuser. Pas vrai, Rhys ?

Ce dernier manqua de lever les yeux au ciel. Elle faisait vraiment tout pour qu’il essaye de s’intégrer.

– Ouais, c’est pas mal, répliqua-t-il d’une voix peu enthousiaste.

En fait, il s’en fichait. Ce bar était rempli de ce qu’il détestait. Il se tourna vers la jeune femme aux cheveux blonds.

– Tu fais vraiment partie d’une meute ?

Il tutoyait déjà sans se rendre compte. La question lui brûlait les lèvres, il voulait savoir ce que ça faisait d’être dans un groupe de loups. C’était contradictoire, à vrai dire : il haïssait sa propre race et pourtant, l’envie d’en apprendre plus le rongeait. C’était un cercle vicieux, car plus il en apprendrait, plus il se détesterait. Sûrement.

Rhys regarda vite fait autour de lui avant de reposer, à nouveau, ses yeux sur la serveuse.

– Tous ces gens font partie de ta meute ? ajouta-t-il.

Il n’était pas hostile et espérait que la jeune femme ne voit pas son ton aigri comme une menace. S’il était définitivement curieux, son visage ne le montrait pas. C’était tout lui. Bien entendu, Lily lui donna un coup de pied sous la table. Rhys fit mine de rien et attendait une réponse. Au bar, il remarqua que le dos d’un mec s’était raidi, comme s’il écoutait l’échange. Génial…


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Ce n’était pas une bonne idée d’avoir l’air blasé. Le gallois était plus ici pour en savoir plus sur les loups… mais pour ça, il fallait poser les questions de manière aimable. Chose difficile à faire pour le loup aigri qu’il était. La jeune femme en face remarqua la mine qu’offrait Rhys et fit un commentaire, auquel sa thérapeute approuva en disant « Tu as raison » avec un sourire presque complice. Évidemment…

Rhys jeta un coup d’œil exaspéré vers son amie, avant d’enchaîner sur un interrogatoire – enfin, c’était plutôt de la curiosité. Il demanda à la serveuse blonde à leur table si elle faisait partie d’une meute. Même s’il savait pertinemment que c’était le cas, il voulut tout de même confirmer.

Effectivement, sa curiosité était mal placée, mais si ça la dérangeait tant que ça, les emmerdes auraient déjà eu lieu.

– Ouais, je sais, répondit Rhys en l’observant prendre un paquet de cigarettes.

Lily, qui pensait passer un bon moment avec son ami, était désespérée. Le loup attendait sagement à ce que leur nouvelle rencontre réponde et ce qu’elle fit. Déçu de constater qu’il n’aurait pas facilement des réponses, il l’écouta tout de même.

Est-ce que c’était une menace ? Non, c’était plutôt un avertissement. En soit, elle avait raison. Ils étaient des loups solitaires, ne connaissaient personne d’ici et se ramenaient pour faire leur enquête. Ou plutôt, Rhys la menait. Mais bon, il fallait bien poser les questions.

La jeune femme en face enchaîna en se présentant. Yeva. Ça ne faisait pas très américain. Il ne savait pas non plus si elle avait un accent particulier, n’étant pas doué pour en déceler. Lily se redressa sur sa chaise.

– Je m’appelle Lily, s’exclama-t-elle. Et je tiens à m’excuser à propos de cet idiot, ajouta-t-elle en direction de son ami avec une moue. Il n’est pas très… amical.

Elle avait l’air d’apprécier la dénommée Yeva. Et Rhys avait rien contre elle, il ne la connaissait pas. Cependant, il persista.

– Donc, vu qu’on est sur un territoire qui n’est pas le nôtre, on a plus le droit de poser des questions ? fit le gallois, un peu agacé. Je pensais que les loups étaient sociables.

Tout en disant cela, ses yeux se dirigèrent vers Lily qui fit mine de rien, ne préférant pas se mêler. Il continua avec une autre question et sut qu’il poussait un peu trop les limites. Yeva l’avait déjà averti et là, il s’amusait clairement avec le feu. Ce que la jeune femme n’apprécia pas forcément – et son amie qui vint lui donner un coup de pied sous la table.

Elle répéta à nouveau le coup de la discrétion et continua en demandant s’il savait où est-ce qu’il se trouvait, et que ce n’était pas un open-bar pour les surnaturels. Rhys souffla et avant de répondre, il termina les dernières gorgées de whisky qu’il y avait dans son verre. Il le déposa contre la table et se retourna vers Yeva.

– Je le répète, mais je pose juste des questions, je veux pas foutre le bordel, maugréa-t-il.

La jeune femme demanda à Lily quel était son problème et l’indienne se mit à rougir violemment. Un louveteau… on aurait tout entendu.

– Ce n’est pas mon petit-ami, balbutia-t-elle. Je suis sa…

Rhys toussota.

– C’est mon ami, rectifia-t-elle. Et il-
– J’ai 66 ans.

Il ne savait pas si c’était vieux parmi les loups, mais au moins il lui donnait une idée. La réaction de Yeva fut des plus étonnantes, car ses yeux étaient à présent d’une couleur dorée fascinante. Rhys, bien qu’un peu pris de court, ne détourna pas le regard.

Est-ce qu’il pouvait faire ça, lui aussi ? Il n’avait jamais essayé. L’iris de la louve reprit une teinte normale et elle répondit enfin à sa question. C’était une famille… une meute, alors. C’était au tour de Yeva d’être curieuse et Rhys décida de dire la vérité.

– J’ai beau ne pas être tout jeune, mais je ne connais presque rien aux loups. Et Lily veut… que je découvre tout ça par moi-même. Donc, c’est ce que je fais.

Il se tut un instant. Rhys se rendit compte que Lily ne lui avait presque rien dit sur les loups et ça l’énervait. Selon elle, il fallait qu’il apprenne tout seul pour être en harmonie avec sa nouvelle identité. En harmonie… ouais, ça n’arrivera jamais.

– Je ne veux vraiment pas chercher la guerre ou quoi que ce soit. Je veux juste en savoir plus.

Il avait ajouté cette remarque, car depuis tout à l’heure quelques types écoutaient leur conversation et semblaient être prêts à lui sauter dessus à la moindre erreur. Yeva n’était pas sa thérapeute, ce qui fait qu’il préféra éviter la partie du « je hais mon côté loup et je cherche, au passage, un moyen de le tuer ».

– Enfin, si tu ne veux pas répondre à mes questions, c’est ton choix.

Rhys ne manipulait même pas, il était franc. Il prit le verre complet de Lily et le but aussi, et lorsqu’il le déposa, il ajouta vers Yeva :

– Tu veux qu’on parte ?
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