La voix d'Ishtar

Ft Paige

Face à son miroir, Syragane observait son reflet, les paroles de David résonnant en boucle dans sa tête, entremêlées de celles d’Ishtar qui murmurait comme si elle se trouvait à côté d’elle, la soutenant ou plutôt, l’empêchant de tomber.

Les deux mains étaient fermement accrochées aux rebords du lavabo de la petite salle de bain, les phalanges blanchies par la crispation, l’expression anéantie.
*tu as une mission*

Merci pour tout. Il n’avait même pas discuté, ni rien, complètement indifférent à son désarroi pourtant si grand.
*ton rôle va bien au-delà des sentiments*

Merci pour tout. De quoi ? Après lui avoir fait comprendre qu’elle était trop étouffante ? Son regard, ou son absence de regard, elle ne savait plus ce qui était le pire. Il y avait tant de choses qu’il n’aimait pas chez elle.. Sa « barbarie », son éducation, sa religion, son monde !
*Il ne devrait pas te juger. Toi tu ne le juges pas parce qu’il a tout le temps peur*
- il n’a pas tout le temps peur. C’est normal d’être effrayé, il ... il est malade !
- tu lui trouves toujours des excuses n’est-ce pas ? et pourtant il n’est plus là, il t’a remercié et il a dit à Woody que c’était fini entre vous.  
- je n’aurais pas du.. le laisser affronter l’Ifrit
- tu as tellement foi en lui, en ses pouvoirs, et pourtant lui n’avait qu’une envie, s’en aller, fuir !

Syragane secoua la tête, face à un reflet qui la fixait intensément, un éclat plus doré que d’ordinaire dans le regard, et cette voix qui restait d’une sérénité absolue. La Sylphe réalisait qu’elle lui avait sans doute imposé un combat dont il ne voulait pas.
- Il ne pourra pas toujours fuir ! N’est-il pas Légion ?? Le grand Légion, le protégé de leur Dieu ?

C’était elle qui devait le protéger. Sauf que . . .elle s’était trompée. Il n’en voulait pas de sa protection, il ne voulait en fait rien d’elle et il avait laissé Manakel lui dire de la boucler ! Le message était on ne pouvait plus clair.
- Je voulais seulement le rendre plus fort, pour que personne ne puisse plus lui faire de mal ... murmura-t-elle d’un ton défait.
- Ce n’est pas un combattant comme toi.
- JE SAIS ! Je le sais bien !! mais je pensais que Légion lui,  pouvait affronter l’ifrit ! Je ne voulais pas lui imposer tout ça ! Je... je ne savais pas que cette créature nous tomberait dessus, j’ai voulu trouver le meilleur moyen de lutter contre elle.
- Lui ne souhaitait que s’enfuir. Il a combattu ce monstre uniquement parce que tu le lui as demandé, contraint et forcé.
- Mais . . . jamais je ne l’ai forcé à quoique ce soit !!

Alors c’est comme ça qu’il la voyait ? Comme quelqu’un qui l’écrasait et imposait sa propre volonté? Elle avait senti sa gêne et sa nervosité de plus en plus grande face à ses paroles devant le vampire. Un vampire qui pensait pouvoir la faire taire et s’était ensuite moqué d’elle quand Manakel lui avait hurlé dessus.

Tous deux s’étaient moqués d’elle, avaient détourné le sens de ses paroles. . .Elle voulait simplement transmettre un message. Et à présent, tout ça lui retombait dessus de manière cruelle ...
- Les hommes comme je le leur ai dit, sont parfois plus sourds que les sourds. Aucun des deux n’a compris ce que tu es, qui tu es. Et si tu insistes, tu ne feras que te condamner plus encore.

Les larmes revinrent, c’était injuste ! Le regard face à elle se fit plus doux.
- La vie n’est jamais juste, tu le sais mieux que quiconque. Tu dois te concentrer à présent sur ta mission, élue. TU Ne peux pas laisser les soldats de Nergal continuer d’agir. Mais tu as plus à faire ici que dans le monde des rêves. C’est ici que tu peux accomplir ta mission. Trouve le talisman de Nanur ! Laisse Légion se cacher derrière David, et faire ce qu’il a toujours fait, avec ou sans ton aide. Tu ne vas rien changer à ça. Et c’est ce qu’il souhaite. Il est parti Syragane, laisse le apprendre seul, puisque c’est ce qu’il veut..

Mais Syragane elle, avait besoin de lui ! C’était une douleur terrible qui le poignardait le cœur. Elle l’aimait ! Mais lui ne l’aimait-il donc plus ?
- Il doit suivre sa propre voie, insista la déesse. Et toi aussi, tu dois le laisser faire.

Elle avait raison. A quoi bon vouloir le retrouver?  Si c’était pour la faire culpabiliser d’être celle qu’elle était ?  Syragane devait suivre sa destinée, quoiqu’il arrive.

Même si elle ne savait pas trop par où commencer pour retrouver ce maudit talisman que Kufus convoitait et qui avait provoqué son arrivée dans ce khan.

La voix d'Ishtar

Ft Syragane

Paige avait appris depuis peu la nouvelle. Et autant dire qu'elle l'avait ébranlée. Syragane et David... Ce n'était pas possible que ce couple ne soit plus. Elle n'en tenait certes ni les tenants ni les aboutissants et ne comptait pas se mêler de leur histoire d'amour, mais elle avait pleuré un bon moment. C'était un gros coup de massue.

Il lui avait fallu repousser ce chagrin car les principaux impactés par la séparation étaient ses deux amis. Elle doutait que tous deux le vivent bien. Et pour tous deux, elle se voulait soutien d'autant plus que la situation ne devait être simple pour aucun d'entre eux.

C'est seulement quand elle réussit à refouler cette peine qu'elle éprouvait pour eux deux et que ses yeux rougis avaient retrouvés une allure normale qu'elle se décida à aller les visiter tour à tour pour savoir comment ils tenaient le coup.

Elle ne savait pas par lequel commencer, les aimants tous deux profondément, mais en allant d'abord chercher quelques douceurs en dehors du parc ou à l'intérieur même, pour chacun d'entre eux, elle avait vu David occupé alors le jeu des circonstances et le hasard avaient décidés pour elle.

Elle aurait bien voulu préparer elle-même quelque chose à la main pour ses deux amis mais le temps lui manquait un peu et surtout, elle n'était pas encore  très sûre de ses talents culinaires en pâtisseries pour se lancer -même si elle connaissait les bases comme beaucoup de gens.

Elle alla déposer les twizzlers dans leur paquet sur le pas de la porte du mobile-home de Woody, car si elle avait bien suivi les propos des forains, c'était là que David habitait depuis.

Elle conserva les loukhoums dans leur boîte en aluminium et son attirail de sucre roux, de whisky, de crème et de café dans un sachet en kraft et alla frapper au mobile-home de Sy dans un premier temps.

-Syragane... C'est Paige... S'il te plaît... Je peux entrer ?, l'impolora-t-elle presque en poussant un peu sur ma voix, ne sachant pas trop si elle était-là, si elle m'entendrait et si elle accepterait de la visite. Elle pouvait très bien avoir envie d'être seule.

La voix d'Ishtar

Ft Paige

La neige tombait toujours et cet hiver glacial rendait les nuits interminables, autant que les journées qui s’étiraient tel un sablier sans fin. Cloîtrée chez elle, Syragane ne sortait plus, ignorant les uns et les autres, ignorant les requêtes, sauf Jane dont elle avait emprunté son ordinateur. Elle en avait profité pour l’envoyer dire à Samuel qu’elle prenait une « pause » pour les spectacles.

Et alors que jamais elle n’avait raté une journée d’entraînement, même cette idée ne l’attirait plus.
Et s’il n’y avait pas eu cette mission, sans doute serait-elle restée au pays des rêves, l’endroit qui se rapprochait le plus de son khan, de ses souvenirs quand elle ne s’y noyait pas volontairement dans des rêves éveillés, se perdant dans les jardins de Babylone, revêtant ses tenues d’autrefois, lin blanc, organzas aériens, drapés tissés d’or, et même cette étrange robe composée de plumes de paons, son animal favori. Un paon qui l’accompagnait souvent dans ses rêves, la surveillait quand il ne la parait pas de ses couleurs.

Quand ce n’étaient pas les cauchemars qui la poursuivaient la nuit, mélangeant souvenirs, le massacre des vierges, les hurlements, le sang dans lequel elle se noyait, emmurée vivante dans une obscurité totale, contact glacé des corps sans vie contre sa peau.

Il y avait aussi des images qui comme sa tenue, n’appartenaient pas à ses souvenirs. Un endroit qu’elle ne connaissait pas, un monde inconnu où l’eau coulait comme de l’or, ou l’or coulait comme de l’eau. Et les palais étincelaient sous la lumière de Shamash, ornements rutilant partout autour d’elle, sans fin, dans un hameau de sérénité.. ..

Puis le vent soufflait et emportait tout, effaçant jusqu’à la dernière étincelle de lumière, emportant son or dans des rivières qui se desséchaient pour laisser apparaître des nœuds de serpent, dont un en particulier qui se dressait pour l’observer.

Qui se gaussait de son chagrin, persiflant ses paroles, ironie d’une créature qui soudain grandissait, grandissait jusqu’à devenir l’Ifrit, un Ifrit aux yeux oranges.

Et là immanquablement il y avait les réveils en sursaut en sueur, la laissant seule et affolée, seule sans plus la présence rassurante de David. Alors la réalité prenait ses droit, froide, implacable. Et Ishtar lui soufflait encore de reprendre le combat.

*ta mission, tu as une mission, Elue, c’est pour ça que je t’ai choisie*
*ne te préoccupe de rien d’autre, agis !*
*Lève-toi, élue ! lève toi !!*

Elle frappait à sa porte, cognant contre ses rêves pour la forcer à réagir. Elle cognait encore et encore, et Syragane entendait désormais sa voix hors de sa tête.

Avant de réaliser que ce n’était pas Ishtar cette fois, mais la voix de Paige.

Elle se redressa dans son lit, enfila un peignoir sur son tee-shirt trop grands et un leggins usé, les cheveux emmêlés, les traits tirés, pâle, si pâle, et dans un soupir se dirigea sans énergie vers la porte qu’elle ouvrit.
- Paige, murmura-t-elle avant d’afficher brusquement un air inquiet. Il y a un souci ?

Elle pensait bien sûr à David. Inquiète, elle guettait la réaction de Paige, alors qu’Isthar lui soufflait.
*cesse de t’inquiéter tout le temps pour lui, il sait se débrouiller tout seul. Quand vas-tu comprendre ?*
- d’accord, oui tu as raison, dit-elle à voix haute dans un murmure inarticulé dans sa langue d’autrefois.

Il savait très bien se débrouiller sans elle, mais, c’était difficile de ne plus s’inquiéter. Elle avait si longtemps été persuadée qu’il avait besoin d’elle autant qu'elle de lui, mais en fait non, David avait besoin qu'elle le laisse tranquille..

La voix d'Ishtar

Ft Syragane

Elle insista un peu, tambourinant à la porte, l'inquiétude au premier plan de ses émotions, la peur, elle en arrière court. Peur de comment elle allait retrouver son amie. Et s'il lui était arrivé quelque chose... Après tout une rupture pouvait faire faire bien des choses... Elle fit taire rapidement cette angoisse grimpante qui n'aiderait sûrement pas.

Quand enfin la porte s'ouvrit, le soulagement l'emporta et sa respiration qu'elle avait jusqu'alors presque retenue reprit ses droits dans sa poitrine quand elle aperçut la silhouette frêle de la jeune femme. Un soulagement de courte durée alors qu'elle remarquait la pâleur qui avait remplacé sa peau dorée telle qu'on aurait dit qu'elle était constamment baignée de lumière. En dehors de sa mise, qui d'ordinaire était impeccable, sensuelle, aérienne, à l'image de la sylphe, il lui semblait qu'elle avait maigri...

La grâce qui se dégageait d'elle, charmant tout un chacun se dégageait encore d'elle. Même au trente-sixième dessous son amie restait une très belle femme. Seulement l'intensité de son aura avait comme « diminué » ?

C'était difficile à décrire pour Paige qui sourit tristement mais tendrement à la jeune femme. Même dans la tourmente, elle arrivait à s'inquiéter pour autrui. Qualité qui l'avait charmée, un jour, quand elles s'étaient rencontrées alors qu'une personne faisait un malaise dans la rue. Dés lors et inconditionnellement, et même si elles ne partageaient pas toutes leurs journées à faire des trucs entre femmes comme le voulait ce monde moderne, elle l'avait aimée et décrétée son amie. Elle n'était pas Ishtar, mais elle aussi l'avait élue.

- C'est pour toi que je me fais du soucis...

Elle qui décida pourtant que le temps des politesses étaient finies. C'est le regard plein de tendresse qu'elle entra  et franchit le seuil de la porte du mobile home, sans y être vraiment invitée. Elle posa ce qui lui encombrait les mains au sol puis enlaça la demoiselle, sans plus mot dire, sans réellement comprendre ce que Syragane venait de lui dire dans une autre langue qu'elle ne pouvait comprendre. Même si avec un peu de recherches ou le concours de son amie, elle aurait pu faire l'effort de l'apprendre ou d'en découvrir quelques subtilités.

Quand ce fut assez pour toutes les deux, elle recula un peu et observa la demoiselle :

- Ce serait inutile de te demander comment tu vas, n'est-ce pas ? J'ai toujours rêvé de te coiffer les cheveux... Cela te dirait-il ?

L'approche était peut-être bien singulière, mais il lui semblait important d'y aller doucement afin de la ramener dans l'instant présent. Car son amie avait l'air un peu "ailleurs", ce regard qu'arboraient les gens dans les nuages ou ceux victimes d'un deuil. Le coeur de la métamorphe se serra un peu mais elle prit sur elle. Elle était là pour son amie. Il ne fallait pas qu'elle l'oublie.

La voix d'Ishtar

Ft Paige

- C'est pour toi que je me fais du souci. ..

Syragane afficha un instant sa surprise, et retrouva la seconde d’après, son expression triste et désabusée. Elle pouvait donc se rassurer. Ce n’était pas à cause de David que Paige était venue, enfin pas vraiment. Il allait bien oui. Elle ne devait pas s’inquiéter, se répéta-t-elle.

Il lui avait déjà prouvé qu’il pouvait se débrouiller tout seul, vu qu’il avait aussitôt récupéré ses affaires pour aller s’installer chez Woody. Donc, pourquoi s’en faisait-elle hein ?

Puis Paige entra et la prit dans ses bras, prenant Syragane de court un instant. Il lui fallut quelques secondes de plus pour lâcher prise, et lui rendre son étreinte, les larmes venant à nouveau couler sur ses joues mais dès qu’elles s’écartèrent l’une de l’autre, elle se reprit, essuyant d’un geste nerveux son visage.
Forcément Paige savait. Ils savaient tous ! Dans une famille comme les forains, tout se disait, tout se savait. Tout comme David n’avait pas manqué de faire savoir que « c’était fini ».

Et malgré le temps qui s’était écoulé depuis cette « conversation », Syragane ne s’en remettait pas. Oui malgré les semonces d’Ishtar qui essayait sans doute à sa manière de l’empêcher de s’effondrer complètement.

Elle se sentait comme une enfant perdue, ayant perdu bien au-delà d’un rang, d’un khan, un amant, un ami, une âme sœur. Tout avait brusquement volé en éclat et elle ne comprenait toujours pas pourquoi, tout ça à cause d’une seule conversation ? Ou à cause de ce voyage dans le monde des rêves ?

Devait-elle en vouloir à Bobby Sands ? Ce dernier par son comportement avait-il influencé David ? Peut-être, oui ! Lui ou Manakel. Ils s’étaient ligués contre elle, lui donnant un rôle qui ne lui correspondait pas.
De même que l’attitude de David vis-à-vis d’elle. Où était passé son gentil David ? Celui qu’elle aimait de tout son cœur ?
*tu lui as appris à voler de ses propres ailes, réjouis-toi de voir que tes conseils et ton aide ont portés leurs fruits*

- Ce serait inutile de te demander comment tu vas, n'est-ce pas ? J'ai toujours rêvé de te coiffer les cheveux... Cela te dirait-il ?

Syragane dont le regard brillait autant d’un éclat doré que de larmes déjà de retour, resta un instant sans répondre, ses pensées se bousculant, entremêlées à celles d’Ishtar.
*Ne suis-je donc que cela pour lui ?*

Elle croyait qu’ils étaient liés par quelque chose de bien plus grand que sa seule volonté de l’aider, ou qu’une mission qui avait Nergal pour point commun.
*désormais vous accomplirez votre tâche chacun de votre côté*

Pour Ishtar, il était évident que ce pourquoi elle l’avait sauvée, primait sur tout le reste. Mais Syragane ne se sentait plus élue de rien du tout, pas plus d’Ishtar que du cœur de David. Elle avait perdu tout ce qu’elle avait, rang, respect, sa famille, et à présent le cœur de son élu à elle. . .

Quelques secondes s’étaient écoulées depuis la question de Paige. Syragane finit par acquiescer.
- D’accord.

Elle se retira le temps de récupérer sa brosse à cheveux qu’elle revint donner à Paige, avant de se rappeler de son éducation.
- On peut s’installer là si tu veux, dit-elle en désignant le canapé devant la tv.  Tu as soif ? demanda-t-elle d’un ton poli.

Puis elle prit elle-même place, tournant le dos à Paige, le regard dans le vague.
- Tout le monde est donc au courant, dit-elle dans un constat éteint. Bien sûr . . .Ma foi, je devrais m’en réjouir, savoir qu’il peut se débrouiller tout seul. Il a de toute façon toujours su le faire, ajouta-t-elle d’un ton agacé, agacé contre elle-même parce qu’elle n’avait pas su le voir plus tôt. Il avait vécu d’autres vies avant celle-ci, il avait résisté à toutes les tempêtes alors qu’imaginait-elle ? Qu’elle ferait une différence ?

Au final, c’était elle qui s’était accrochée à lui, heureuse de pouvoir être utile à quelqu’un de pouvoir l’aider comme elle aidait autrefois les habitants de Babylone. Sauf que non, David était bien plus que ça.

La voix d'Ishtar

Ft Syragane

Elle avait un peu forcé les choses en  entrant sans y avoir été invitée et en étreignant la sylphe sans attendre son aval mais cela lui avait paru naturel et la chose à faire avant tout le reste. Une manière comme une autre de lui témoigner son soutien et pourquoi pas soulager un peu la peine de l'autre. Un simple geste faisait parfois plus qu'une longue diatribe.

Si au départ la belle ne sembla ne pas réagir au départ, elle se laissa un peu aller contre elle, la serrant en retour. Elle lui donnerait tout le temps dont elle aurait besoin. Quand elle se séparèrent, voir la demoiselle sécher elle-même ses larmes lui fourragea le cœur. Elle se fustigeait mentalement d'avoir omis de rapporter quelques mouchoirs.

Il y eut un petit temps de flottement, où la belle regarda un peu dans le vague, comme plongée dans ses pensées. Paige aurait payé cher pour comprendre ce qui s'y jouait, ne serait-ce que pour tenter de mieux aider son ami ou apaiser, si possible un peu son chagrin et son cœur. Car même si elle n'y était pas, elle se mettait à la place de Syragane.

Elle rompit le léger silence pour se mettre en action, donc, et tenter de ramener la belle vers le présent. Ses paroles prononcées étaient sans doute maladroites. Elle ne voulait pas balayer les ressentis de la belle, juste lui signifier qu'elle ne voulait pas remuer le couteau dans la plaie, car cela allait de soi qu'elle n'allait pas bien.

Elle proposa de lui brosser les cheveux. Certes un prétexte tout trouver pour prendre soin de la jeune femme en essayant de faire preuve du plus de tact possible et également parce que c'était vrai. Elle avait toujours rêvé de brosser la si longue chevelure aux reflets mordorés et si bien entretenue de son amie.

Encore une fois, l'esprit de son vis-à-vis sembla s'égarer elle ne savait où. Elle lui laissa un peu de temps pour lui revenir. A peine quelques secondes. Ce qui fut cependant assez pour que la métamorphe puisse entrevoir la lueur mordorée baignant dans les larmes de sa douce amie. L'éclat lui rappela étrangement celui où Alvin Clive avait remis le collier de prêtresse à son cou. Si cela faisait naître quelques questions en elle et si elle s'interrogeait sur la provenance de cette lumière, elle essaya de ne pas s'en alarmer pour le moment, en espérant ne pas le regretter par la suite.

Elle en revint à ce qui lui paraissait le plus urgent pour l'instant, ces larmes de chagrin... Elle n'eut pas cœur à les effacer, ne voulant pas lui voler par ce simple geste un zeste de dignité, sachant qu'elle même était très pudique quand il s'agissait de verser ses larmes.  Sinon, elle les aurait recueilli de sa main ou les aurait tamponnées comme elle pouvait avec un linge humide sous la poche de ses yeux pour éviter qu'ils gonflent. Mais elle n'avait hélas pas le pouvoir d'effacer le chagrin.

La sylphide lui accorda finalement sa requête, sortant momentanément de son silence. Paige acquiesça en s'installant derrière la jeune femme, laissant pendre une jambe sur le rebord du canapé après avoir attrapé la brosse.

-Non merci, je n'ai pas soif, pas pour l'instant en tout cas. Mais peut-être que je prendrais un peu de thé avec toi, tout à l'heure...

Il était très certainement encore trop tôt pour la surprise des loukhoums.

Elle commença par attraper doucement une méche de cheveux, avant de commencer à la brosser avec délicatesse. Elle s'arrêta quelques secondes avant de s'attaquer à un premier nœud pour répondre au plus sincère possible sans trop heurter:

-Tout le monde est habitué à vous voir ensemble, assez fréquemment... Donc... Les gens ont compris un peu d'eux-mêmes que quelque chose n'allait pas entre vous...  

L'agitation qui s'emparait de son amie était palpable, rien qu'à son ton mais c'était évident également rien qu'à l'observer de dos, à la tension de ses épaules, à ses gestes... Et même si elle gageait que Syragane parlait de David, il lui était assez difficile d'y attribuer un sens juste concernant ses paroles.

Elle s'attaqua doucement au nœud pour se laisser un peu le temps de formuler sa phrase puis se remit à brosser :

-Excuse-moi... Mais que veux-tu dire , ma belle? Et... Si je peux me permettre... Tout à l'heure, tu parlais, dans ta langue natale, je crois...Car je n'ai rien compris.

Moui, cet air absent qu'elle avait eu tout à l'heure, elle pouvait très bien l'attribuer à la tristesse de Syragane mais... Le doute commença à s'insinuer en elle. Son instinct lui intimait de fouiller un peu plus loin. Mais... Chaque chose en son temps.

La voix d'Ishtar

Ft Paige

Un thé, ok, c’était une bonne idée. Syragane acquiesça avant de s’installer à la place à côté de Paige qui voulait lui coiffer les cheveux, une demande qui n’était pas sans lui rappeler son khan d’origine. De toute façon elle n’avait aucune objection à émettre à ça, ni à quoique ce soit d’autre, voguant dans un état perpétuel d’absences, plongées dans un maelstrom de réflexions intérieures, résistant à l’envie de s’enfuir, définitivement au pays des rêves. .

Pour autant, elle fit part de quelques réflexions à Paige qui lui répondit que c’était parce qu’on ne les voyait plus ensemble.
- Ah je croyais qu’il le leur avait dit.
Mais Paige n’avait peut-être pas encore eu de retour.

Quelque chose qui n’allait pas, oui.. c’était le moins qu’on puisse dire. Syragane expira, laissant ses épaules s’affaisser un peu plus, fixant ses doigts qu’elle triturait inconsciemment.
La question de Paige la rappela au présent.
- Ah ? vraiment ? je ne m’en suis pas rendue compte, répondit-elle distraitement au sujet de l’akadien.

Parfois ça lui arrivait en rêve. David le lui avait déjà dit, mais en rêve seulement pas en état d’éveil. Quoique c’était ironique n’est-ce pas ?

Paige ne comprenait pas, bloquant les pensées qui éloignaient chaque fois Syragane de la réalité.
- Je parlais de David. Je n’avais pas réalisé que.. qu’il n’a pas besoin de moi en fait. Il sait très bien se débrouiller tout seul et il me l’a démontré.

Elle hésita avant d’ajouter, la voix lointaine, se rappelant de cette conversation comme s’ils venaient de l’avoir :
- je lui ai dit que si m’écouter lui devenait trop pénible, il valait mieux faire notre chemin séparément, il m’a prise au mot, et il est parti. Au début je croyais que c’était à cause de Bobby avec ses provocations, et ses façons si... machistes ? Il a tout fait pour me faire sortir de mes gonds, malgré toute ma volonté.  A notre arrivée, il nous est tombé dessus tel un roquet de mauvaise humeur et j’en subis aujourd’hui les conséquences.

Sa voix n’était plus qu’un murmure, chassant les ombres des sanglots, avant de reprendre d’un ton plus affligé :
- Alors David, son irritation, son attitude, je croyais que c’était parce qu’il ne voulait pas perdre la face devant Bobby. Il... il semblait si agacé et contrarié par ce que je répondais à Bobby .. .. et quand je me suis excusée de lui donner cette impression, de ne pas pouvoir s’exprimer comme Bobby l’a laissé entendre, il... il n’a rien dit. Rien ! Il est parti !

- Alors.... alors c’est ça en fait, je savais déjà combien il déteste mes façons barbares, je savais qu’il n’aimait pas mon côté guerrière, à présent je sais qu’en plus mes mots lui pèsent, lui pèsent tellement que quand Manakel est intervenu et qu’il m’a dit de la boucler, il n’a rien dit, c’est ce qu’il voulait ! Que je me taise ! Que je ne fasse pas tout ça !

Elle secoua la tête, sa voix vibrante de trémolos:
- Il ne veut pas de ce combat contre les serviteurs de Nergal. Après tout oui, il a raison, c’est mon combat ! Je l’ai entraîné là-dedans sans voir, sans voir un seul instant qu’il n’en voulait pas, sinon, je me serai battue seule contre l’ifrit, sans rien leur demander. C’est ce qu’ils font tous les jours dans le monde des rêves. Les Djinns, ils luttent pour leur survie ! Je ne pouvais pas juste tourner le dos, tu comprends ? Sinon cette créature aurait continué à tuer mes amis, encore et encore..

Syragane avait ouvert les vannes tant de ses mots que de ses larmes, et elle s’interrompit enfin, comme si elle allait se noyer, noyée sous des monceaux d’incompréhension, sous un ciel qui lui était tombé sur la tête. Elle cacha son visage dans une main.
- Je suis désolée, tu aimes beaucoup David toi aussi, et je sais qu’ici vous l’avez tous en très haute estime, ce dont je ne cesse de me réjouir, alors, je ne devrais pas parler ainsi.. Mais.. mais je n’arrive toujours pas à comprendre ce qui s’est passé.

La voix d'Ishtar

Ft Syragane

Si David avait dit quelque chose aux gens, Paige n'en savait rien.  Ni en quels termes il en avait parlé. Alors elle s'imaginait que pour les autres, c'était ainsi, qu'ils avaient fait leurs propres déductions.

-J'ai juste fait une ronde avec Woody et il s'inquiétait pour toi. Alors il m'en a parlé. J'ai su comme ça, en ce qui me concerne. Pour les autres, je ne sais pas. Mais on est tous comme une grande famille alors on est tous très concernés parce ce qu'il peut arriver aux nôtres...

L'entrée en matière n'était pas facile, Paige essayait d'amener les choses avec autant de tact et de douceur que possible même si rien ne serait jamais parfait. Elle mentionna le moment où Syragane avait parlé dans sa langue natale, donc... Mais elle l'avait fait machinalement comme ces gens qui se parlent à eux-même. Il était donc naturel qu'elle se soit exprimée dans le langage qui lui était familier, instinctif.

Elle ne mentionna pas encore la lueur dans son regard, procédant par étape. Elle se concentrait d'abord sur les propos de la sylphe. Elle parlait de David, répétant suite à la demande de la métamorphe, qu'il savait se débrouiller seul, qu'il n'avait pas besoin d'elle et qu'il le lui avait démontré.  

Est-ce que c'était donc cela, qui avait fait l'objet de... Ce qui leur arrivait actuellement ou était-ce le symptôme d'autre chose, telle une maladie qui couvait ?

Elle se garda de dire quoi que ce soit même si tas de lieux communs lui brûlaient les lèvres. Elle voulait laisser à son amie le soin de s'exprimer librement, ainsi que le le temps et l'espace nécessaire pour ce faire.

Syragane finit d'ailleurs par se livrer, en quelques bribes de discours confus très certainement à cause du chagrin. Paige n'ayant pas assisté à la scène avait entendu le gros du problème même s'il lui manquait sans doute quelques éléments de compréhension. Cette zone d'ombre importait peu pour cette dernière, l'essentiel étant que son amie avait pu se confier.

Pour résumer, un certain Bobby de mauvais humeur avait mis son grain de sel dans le couple. De là découlait en partie la rupture, ainsi qu'une phrase que Syragane avait prononcé et que David avait pris au pied de la lettre.  

Seulement d'autres éléments s'étaient ajoutés à ce méli-mélo, dont l'attitude de David, méconnaissable, qui s'éloignait de celle à laquelle tout le monde était habitué.

-Cela ne lui ressemble pas, c'est très étrange quand même..., murmura-t-elle pour elle-même.

De fait, jamais Paige ne l'avait vu irrité, le jeune homme transpirant d'ordinaire la tendresse et la douceur, bien qu'il était quelqu'un de très angoissé à la base. Résultat sa moitié n'avait pas compris les raisons de l'emportement de son compagnon. La métamorphe se dit qu'à sa place, elle aurait été désemparée elle aussi. Elle se serait demandée quelle mouche l'aurait piquée si Sully d'un coup, avait reviré de comportement à son égard.

Au delà de cette histoire, il y avait probablement également une sensation de rejet incompréhensible. pour l'ancienne grande prêtresse d'Ishtar. David n'avait pas pris sa défense contre ce Bobby et non plus contre ce Manakel pas encore recyclé en petite crotte, qui s'était montré très insultant.

-Quoi ? Manakel a utilisé ces termes envers toi ?!  "La boucler" ? Non mais en voilà des manières !, s'indigna un peu Paige. Déjà qu'il prend beaucoup de place dans la tête de David celui-là!   Et on y avait rajouté Nergal... Oh, elle ne voulait prendre le parti de personne, juste soutenir ses deux amis dans une phase difficile de leur vie. Mais si elle avait pu tirer les oreilles de ce malappris de Manakel, sans doute l'aurait-elle fait.

Elle se concentra de nouveau sur Syragane, sur sa chevelure qui passait et repassait entre ses doigts. Les nœuds finirent par lui laisser un peu de répit et donc les gestes devenaient de plus en plus doux, apaisants.

-Tu n'as rien d'une barbare Sy...

Elle pâlit un peu en entendant parler d'Ifrit, plus qu'en entendant le prénom de Nergal qui ne lui était pourtant plus inconnu car elle le pensait maîtrisé par David. Il avait donc été question d'un combat contre un de ces créatures... Où, quand, comment ?  Dans le monde des rêves ? Paige n'était pas bien-sûre de tout suivre . Tout ce qu'elle connaissait de ces entités surnaturelles, cependant,  en elle avait entendu parler dans certains livres de légendes. Ces entités lui faisaient froid dans le dos... Des entités... Faîtes de feu, non ?

… je ne suis pas sûre... Tes amis ? De Staten Park ?

Elle avait un peu beaucoup loupé le coche, voyait tellement la sylphe comme une fée qu'elle n'arrivait pas à l'assimiler aux autres Djiins dont elle lui avait déjà pourtant parlé par le passé. Elle était un esprit du vent, un bon Djiin...

Elle arrêta de coiffer la beauté du désert en l'entendant pleurer. Elle détestait la voir ainsi, et cela lui donnait envie de pleurer également mais elle devait se montrer forte pour la belle guerrière, un de ses modèles grâce à qui elle avait progressé sur le chemin du courage.

Elle vint s'accroupir devant elle et poser ses deux mains sur ses genoux, contact ne visant qu'à l'inciter à la regarder. Elle sourit avec chaleur et tendresse. Même si Syragane avait une main sur son visage par pudeur et ne pouvait voir tout cela, elle espérait qu'elle sentirait néanmoins l'amour qu'elle lui portait, rien qu'au inflexions douces de sa voix.

-Oui, j'aime David comme un frère et toi je t'aime comme une sœur... D'accord ? Je ne vais pas t'en vouloir pour t'être exprimée, vous avez tous autant le droit à la parole l'un que l'autre. Mon estime pour lui et pour toi sont toujours intactes. Je sais que ni lui, ni toi, ne cherchez à entacher l'autre... Je crois surtout qu'il faudrait que vous vous parliez à cœur ouvert afin qu'il n'y ait pas ou plus de non-dits entre vous... Ne pas savoir fait qu'on se fait du mal en imaginant souvent le pire, à tort ou à raison. A mon humble avis.

Avis qu'on ne lui avait certes pas demandé... Faisait-elle plus de bien que de mal en le lui donnant?

-Je sais que vous vous aimez... Sinon vous ne vous seriez pas disputés.

L'idée était peut-être un peu trop capillotractée, mais elle se disait que seuls les gens qui se font confiance réussissent à se laisser partir sans retenir l'autre en otage. Le renoncement à l'autre revêtait une des formes d'amour le plus pur à son sens.

-Et je suis peut-être trop fleur bleue, mais je suis convaincue que les gens qui s'aiment vraiment finissent toujours par se retrouver. Laissez-vous du temps... Vis ce que tu as à vivre en attendant.

Un sourire un peu canaille étira ses lèvres. Elle espérait que cet argument trouverait son sens dans l'oreille de Syragane :

-Comme profitez de manger des loukhoums avec une très chère amie ?... En accompagnement d'un thé... Ou d'un irish coffee... On peut même le faire chez  Jane et moi si tu n'as pas de machine à café.

La voix d'Ishtar

Ft Paige

Une famille oui. Syragane acquiesça lentement. Une famille qui les avait accueillis elle et David, à bras ouverts. Et Paige aussi. La sylphe soupira, songeant à sa famille d’origine.

Et puis elle expliqua, ou essaya, exprimant son incompréhension vis-à-vis de ce qui s’était passé, non seulement lors de leur rencontre avec Bobby, mais ensuite. La décision abrupte de David, et un mot dénué de chaleur, un merci pour tout qui sonnait beaucoup trop comme un adieu définitif.

Et Paige d’ajouter que ça ne ressemblait pas à David. Syragane secoua la tête.
- Non pas du tout, murmura-t-elle d’une voix brisée.

Ce n’était pas là le David qu’elle aimait, ou alors, elle avait été aveugle dès le départ, une idée qui devenait de plus en plus présente. Elle n’avait tout simplement rien vu venir.  Elle en avait toujours trop fait, l’étouffant à petit feu et .. . c’est alors qu’il y avait eu la goutte de trop, mais était-ce à cause de l’Ifrit ? Ou de son échange avec Bobby ? Elle l’ignorait et ne pouvait trouver les réponses seule à ce problème.

Quant à l’attitude de Manakel, Paige semblait tout aussi outrée que l’avait été Syragane. C’était le seul point solide au milieu de tous ses doutes concernant David. Manakel avait largement dépassé les bornes.
- Je commençais à me demander s’il n’y avait que moi pour trouver cela si . . .irrespectueux, gronda Syragane. Et David n’a rien ajouté, rien dit pour excuser sa conduite.

Et c’était elle qu’il traitait de barbare !! Elle possédait en tout cas bien plus d’éducation, païenne ou non que cet ange-là ! Paige de son côté disait qu’elle n’avait rien d’une barbare.
- C’est ainsi qu’il me considère, parce que je préfère appliquer une sanction immédiate voir brutale face à mes ennemis. Dans votre monde, les criminels sont parfois plus protégés que les victimes. Ce n’est pas comme ça d’où je viens.

Puis elle se corrigea en baissant la tête.
- Ce n’était pas comme ça.

Elle eut un rire amer :
- Et les anges et les chrétiens se targuent d’être miséricordieux, à l’instar de leur Dieu, mais regarde ce que leur Dieu a fait à David. Il l’a affublé du pire des rôles qui soit au monde, et l’a laissé moisir dans un asile puis en prison, toute sa vie ! Quant à Manakel il me juge constamment parce que je ne suis pas de la même religion que David, mais il devrait plutôt se préoccuper de lui-même.

Quant à ce qui s’était passé là-bas dans l’autre monde, Paige avait des questions. Syragane secoua la tête.
- Non, je parle des Djinns qui sont prisonniers désormais du monde des rêves à cause de Nergal. Les Bons Djinns, pas son armée à lui. Ils se nomment eux-mêmes des Janns et depuis que j’ai découvert ce monde, j’essaie de les aider dans la mesure de mes moyens mais Isthar dit que je suis plus utile ici, pour accomplir ma destinée, conclut-elle, d’un ton plus neutre.

Mais soudain elle changea de ton, secouant la tête pour s’excuser. Elle ne voulait pas mettre Paige dans l’inconfort en lui confiant ce qui s’était passé avec David et les blessures infligées. Et ce n’était pas son genre de s’épancher de la sorte, mais elle était si .. perdue, perdue face aux réactions de David qui avait préféré lui tourner le dos, plutôt que d’avoir à supporter encore ses mots. C’était là le point de rupture de leur relation.

Paige se déplaça, pour essayer de capter son regard, lui assurant qu’elle les aimait autant l’un que l’autre et que tous deux avaient le droit de s’exprimer. Oui et bien, elle pouvait essayer les mêmes arguments avec David.
- Oui, c’est ce que je croyais aussi, murmura-t-elle.

Paige restait aussi convaincue qu’ils n’avaient pas voulu se faire du mal. Syragane fronça les sourcils.
- Jamais de la vie !

Mais en avait-elle fait involontairement ?
*donner son avis n’est pas toujours quelque chose d’agréable à entendre pour autrui. Particulièrement quand ça va à l’encontre de ce que les autres pensent, mais ce n'est pas pour autant qu'il faille se taire*

Syragane fronça les sourcils, cillant sous cette voix qui était devenue si présente désormais, comme poussée par une urgence.
- Oui je l’aime toujours, répondit-elle troublée, tiraillée entre les deux conversations.
*l’amour exige des compromis et des sacrifices*
N’en avait-elle pas fait ?

Paige la ramena à la conversation. Elle était persuadée qu’ils finiraient par se retrouver. Syragane la dévisagea.
- Il faut faire des sacrifices pour les personnes qu’on aime, mais cela ne signifie pas pour autant, renoncer à celle que je suis par amour pour lui  

Puis sa voix se fit plus ferme.
- Oui j’ai une mission à accomplir, bien plus importante que tout le reste.

Mais alors Paige la déstabilisa complètement en parlant des loukoums. Elle avait bien aperçu un sachet à son arrivée, mais son esprit était trop préoccupé pour s’y pencher. Il y eut une lueur d’intérêt.
- Des loukoums ?
Elle secoua la tête.
- Avec du thé, ça sera très bien. Et elle sourit, puis la remercia avant de se redresser pour aller préparer la bouilloire.
- merci pour mes cheveux.

La voix d'Ishtar

Ft Syragane

Paige n'aimait pas du tout sentir son amie si triste. Elle ne comprenait pas non plus comment une relation autant au beau fixe puisse se briser en un claquement de doigt. N'aurait-il pas dû avoir quelconque signe avant-coureur, des indices montrant que la relation commençait à se désagréger.

David... Il était compliqué à la jeune femme de consoler son amie, sans elle-même bien comprendre qu'il en soit venu à une telle extrémité. Il manquait quelques pièces à ce puzzle, et même Syragane ne les avait pas en sa possession. Si elle-même se posait la question, elle n'imaginait pas à quel point cela devait tourner à plein régime dans le crâne de la sylphe.

Tout aussi révoltant avait été le comportement irrespectueux de Manakel ! Oh oui, même si elle l'avait dit pour elle-même, la métamorphe ne s'était pas privée de livrer sa pensée à ce sujet qui manifestement rejoignait celle de son amie. Il y avait des façons de dire les choses.

Elle fut également étonnée d'entendre comparer la belle à une barbare. Ce n'était pas la vision qu'elle avait d'elle.

-Je vois... Et bien même si je suis partisane d'une sanction moins expéditive, il faut le reconnaître que oui, la loi est plus souvent du côté des criminels que de celui des victimes... Et les rôles ont tôt fait d'être inversés... Tout comme le système de valeurs... Renversé...

Qui n'avait jamais été piétiné du pied pour être gentil comme si c'était une faiblesse alors que la méchanceté gratuite remportait souvent adhésion et tous les suffrages.

Mais au-delà de ce constat, ce qui perçait réellement dans l'attitude de la jeune femme, c'était sa mélancolie, la nostalgie d'un monde dont elle comprenait les usages pour un monde qui ne résonnait pas en elle, et dans lequel elle s'était retrouvée coincée malgré elle. Un gouffre entre deux périodes et deux cultures. Autres temps... Autres mœurs...

-Moui, j'ai déjà dit à David ô combien Dieu s'était raté, enfin, de manière moins polie. Mais...-Mais les chrétiens... On ne peut pas leur en vouloir de ne pas savoir... Et puis on ne sait pas les dessins des dieux...

Mais depuis quand Syragane tenait-elle des discours aussi radicaux sur une autre religion que la sienne ? Elle a toujours prôné amour et tolérance. Vouait une admiration sans borne à Ishtar pour cette source d'amour et de lumière justement. La pensée l'effleura pendant quelques secondes avant d'aussitôt disparaître.

-Manakel... David caressait l'espoir de l'aider à sortir un jour... Il le sentait s'améliorer... C'est dommage que les bonnes actions comme aider à faire sortir David du SPIN sont neutralisés par des actes comme se montrer irrespectueux envers quelqu'un. Hum... Et puis on peut être de deux religions différentes et pourtant s'entendre... Surtout que... Nous ne somme pas notre religion...

Enfin, trêve de réflexion. Elle interrogea Syragane sur les fameux amis dont la jolie blonde parlait et que l'Ifrit attaquaient. Ce qui fut bien heureux puisque cela évita un quiproquo. Paige écouta attentivement la réponse, buvant les paroles de la belle comme à chaque fois qu'elle parlait de ce qu'elle même connaissait peu et qui concernait la danseuse.

Il s'agissait donc des Janns, qui subissaient des attaques de la part de mauvais Djinns, par la faute des actions de Nergal et Syragane avait tenté de faire ce qu'elle pouvait là-bas, dans ce monde dans lequel le dieu du chaos les avaient enfermés. Et donc si elle recoupait bien les morceaux, elle avait amené David là-bas. Il n'avait pas voulu se battre et donc... Donc elle s'en voulait de l'avoir entraîné là-dedans...

-Tu... Tu ne pouvais pas savoir.

Paige avait tenté de la consoler même si elle redoutait que cela n'ôterait rien de ce qu'elle ressentait.

Pour ce qui était de l'utilité de Syragane dans un monde ou dans l'autre... Elle trouvait que cela se discutait mais...

-Ouais, va savoir les desseins des dieux, répéta-t-elle.

Puis il y avait eu les larmes de Syragane qui lui avaient fendu le cœur. Elle était passé devant, elle s'était accroupie pour lui dire à quel point elle les aimait tous les deux et que la belle avait le droit de s'épancher, qu'elle avait foi en leur amour, qu'ils étaient destinés à se retrouver et qu'elle savait qu'au fond aucun des deux ne voulait de mal à l'autre. Alors le temps ferait son œuvre, ils prendraient du recul et ils s'apercevraient bien de l'évidence, du fait qu'ils étaient fait pour être ensemble.

Et elle ne pensait pas transposer ses propres vœux en disant cela. Parfois le temps apaisait juste les cœurs et on y voyait plus clair. Ce serait alors plus facile pour eux de communiquer ensemble.

En attendant, elle fut heureuse de l'entendre dire qu'elle aimait toujours David. Alors rien n'était perdu. Car elle était convaincue que la réciproque était vraie aussi.

Elle ancra son regard au sien et cligna quelques secondes des yeux après coup. Elle avait sûrement dû rêver, comme tout à l'heure en voyant l'infime éclat dans ses yeux, non ?.

-Des sacrifices ? Je penche plutôt pour des compromis... Quand on fait des sacrifices c'est justement là où on s'oublie soi-même... Mais oui, tu n'as pas à devenir quelqu'un que tu n'es pas et cela pour qui que ce soit... On peut changer des comportements, mais pas sa personnalité. De toute façon la personnalité revient toujours même quand on essaie de l'enfouir loin très loin et cela fait encore plus de dégâts au final.

Elle perçut le changement de ton, arqua un sourcil avant de se dérider. Quelque chose clochait mais encore une fois, elle ne savait pas à quoi c'était dû.

-Oui, enfin avoir une mission ne doit pas t'empêcher de vivre non plus. Et c'est peut-être ton amour pour les autres, pour David qui pourrait faire la différence conte Nergal. Alors à mes yeux, le reste aussi à de l'importance. Si tu ne mange plus, ne bois plus et tombe malade, tu ne seras plus capable de quoi que ce soit pour qui que ce soit.

Et le ton de la métamorphe s'adoucit un peu plus encore en proposant justement un met sucré sensé ravir le palais de l'esprit du vent. Elle fut très heureuse de voir l'expression de la demoiselle changer. Voilà qui était bien mieux. *Elle était là "sa" Syragane, non ?*

Elle rit un peu en se précipitant presque sur le sachet pour récupérer la boite et la disposer sur la table la plus proche. Puis elle déposa un baiser sur sa joue et une main sur son épaule :

-Merci à toi, ça m'a fait plaisir...

La voix d'Ishtar

Ft Paige

Syragane le savait, inutile qu’Ishtar le lui dise, il y avait un gouffre entre son khan et celui-ci. Non seulement celui creusé par les millénaires, mais aussi les différences de cultures. Ses sanctions étaient donc beaucoup plus sévères que dans cette société où tout criminel avait un avocat pour le défendre.
Ce que Paige confirma, avec une nuance de retenue.

Et elle était tout aussi en colère contre Dieu, ses anges et tous ses fidèles. Oui trop de colère, parce que c’était plus facile que les larmes. Parce que tout ça était injuste !

Et encore une fois, Paige nuança ses propos. Syragane secoua la tête, toujours en colère, malgré tout, parce que tous ces êtres, Anges ou fidèles, la jugeaient, elle qui était entièrement dévouée à Ishtar. Ishtar qui l’aimait telle qu’elle était, avec sa force et son courage, avec bienveillance et détermination.  Elle était bienveillance et détermination !

Quant à Manakel, la sylphe soupira, le regard sombre.
- J’avais aussi de l’espoir pour lui. Depuis que je l’ai vu rongé par le cancer de Légion, j’ai eu pitié de lui. J’espérai que David trouverait le moyen de l’épargner. Nul être sur terre ne mérite un tel sort. Même si je commence à comprendre pourquoi il s’est retrouvé là. Et.. je doute que ça soit uniquement pour s’être montré irrespectueux.

En ce qui concernait les différentes religions, il y a une semaine, Syragane aurait assuré que c’était peut-être ce qui les avait rapproché David et elle. Ils étaient destinés, ils étaient LE lien, autour de Légion et de Nergal. Mais désormais, elle n’était plus sûre de rien. Le doute s’était insinué dans le silence de l’autre, et il emportait tout raisonnement ainsi que toute logique sur son passage.

Après le doute, il ne restait plus que l’incompréhension dont Syragane fit part à son amie, lui expliquant ce qui s’était passé dans le monde des rêves, avec l’Ifrit. En avait-elle trop fait ? Trop demandé ? Elle avait cru qu’en tant que Légion, il saurait non pas apprivoiser l’ifrit, mais s’en faire obéir. Mais elle avait visiblement commis une erreur d'appréciation.

Au-delà de tout ça ? Oui bien sûr qu’elle aimait toujours David, mais elle lui en voulait aussi, de s’être détourné d’elle si vite, et de lui avoir donné le sentiment d’avoir été trop dure avec lui, pour ne pas dire insupportable.

Mais voilà, la voix d’Isthar résonnait dans sa tête, comme au premier jour de sa renaissance, pour lui permettre de se relever et ne pas s’effondrer au milieu des corps sans vie. Là encore, elle lui insufflait le courage et la volonté de reprendre ce pourquoi elle était ici, quitte à faire des sacrifices.

Paige elle, préférait parler de compromis. Oui c’était un mot plus moderne, moins exigeant, mais la finalité était la même, elle ne devait pas perdre sa mission de vue. Elle n’allait pas pour autant se transformer, pas vraiment non.
- Je suis l’élue. Ishtar m’a choisie pour accomplir une mission.

Puis son regard se troubla tandis que Paige disait que c’était son amour pour David qui ferait la différence.
- Je le croyais aussi. Que nous avions une destinée commune, mais je me suis peut-être trompée.

En clair, à cet instant, Syragane n’avait que peu d’espoir de voir David revenir. Au vu de la façon dont il était parti, sans même se poser de question, comme si au fond tout cela ne le touchait pas alors que Syragane était anéantie.

L’élue se reprit.
- Ne t’inquiète pas pour moi, je vais me reprendre en main. Rien ne sert de se lamenter sur son sort.

Et le regard de Syragane prit alors un autre éclat à la mention des loukoums.  Une douceur exotique qui ne pouvait que lui rappeler les notes de son khan qu’elle dégusta avec un sourire mélancolique. Elle la remercia pour sa gentillesse, et avoir pensé à ça, c’était aussi efficace que n’importe quelle parole.

Aussi les dégustèrent-elles bientôt avec une tasse de thé, avant que la sylphe ne s’excuse de s’être montrée aussi peu présentable. Il était temps d’aller prendre une douche et de se préparer. Elle avait une quête à mener.