Sortir du trou

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Décembre 2020

Je poussai la porte de ce bar dont les lumières avaient attiré mon regard au milieu de la nuit qui tombait si vite à cette époque. Il neigeait quelques flocons, mais j’avais marché indifférent à tout, en apparence, essayant de réunir mes pensées ce que je parvenais de mieux en mieux à faire, bien que jamais j’avais fourni beaucoup d’effort dans ce sens, jusqu’à ce qu’Eryn me colle un coup de pied au cul.

Sans elle, je serai encore au fond du trou, un trou dont j’avais jamais cherché à en sortir. On aurait pu me laisser y pourrir pour le restant de mes jours que j’aurai rien tenté pour changer ça. Sauf qu’à force, j’avais fini par comprendre que ça risquerait de durer très longtemps ce bordel. Tant pis, c’était tout ce que je méritais !

Sauf qu’Eryn en avait décidé autrement, et elle avait fait en sorte que je me sorte les doigts du cul. Ca n’avait pas été facile, tant pour elle que pour moi, mais j’l’avais fait, motivé par le même leitmotiv qu’auparavant. Ouais, y’avait pas de raison que ça change, même si j’étais devenu un putain de monstre.

Alors j’étais sorti du trou et à présent j’étais ce type un peu hagard, le nez enfoncé dans le col de son imper, venant m’affaler sur un des tabourets du bar, jetant un regard en biais à la bonne femme derrière le comptoir, l’air pas aimable du tout accroché à ma gueule.
Mais faut croire qu’elle en avait vu d’autre, parce que très vite elle me demanda ce qu’j’voulais boire et tout ça avec un grand sourire.

- Whisky.

C’était quand la dernière fois que j’avais parlé à des gens « normaux », pas de ceux qui faisaient partie de l’administration, quoique même avec eux, j’avais jamais tant causé des masses. J’devais sans doute leur foutre la trouille. Et je les comprenais.
Enfin si j’pouvais dire ça : parler. Un Whisky. C’était quand la dernière fois que j’en avais bu ? Était-ce bien raisonnable ? Carrément ! tout ce qui m’assommait me ferait me tenir tranquille et serait donc la bienvenue. Et au moindre signe d’alerte, j’avais ce qu’il fallait dans la poche de mon imper.

J’eus un rire sans joie. Ouais j’avais désormais tout ce qu’il fallait pour reprendre le boulot à queqlues détails près. Tiens même cet appart. Je m’étais foutu d’Eryn en disant que c’était très cosy, un loft beaucoup trop chouette pour moi qu’elle m’avait dégoté sur Arlington, à quelques rues d’ici. Un coin peinard où personne ne viendrait m’emmerder.
Ouais le problème c’était surtout moi qui risquai d’aller emmerder le monde et j’devais bien l’avouer, ça m’avait manqué !

Sortir du trou

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Le verre glissa bientôt devant moi, avec son alcool ambré qui roula encore un peu tandis que je saisis le verre pour le porter à mes lèvres, admirant encore un peu sa robe, avant de goûter, juste goûter, pour commencer. Ouais c’était pas le plus fameux des whiskys, mais il avait du caractère et moi ça faisait tellement longtemps que j’y avais plus touché. Une seconde gorgée suivit rapidement, avant que je repose mon verre doucement, affichant un léger sourire.

Au moins, certaines choses ne changeaient pas !

Et c’est là que j’entendis la musique qui venait de s’enclencher. Un bon vieux Supertramp. Je lâchai un léger rire, alors qu’un tas de souvenirs remontaient à la surface.

- Ça vous plait ?

Je fus un instant prit de court par cette question qui tombait comme un cheveu sur la soupe. Je chassai mes souvenirs.

- Ouais carrément ! Enfin si on parle bien de la musique, dis-je avec un léger sourire narquois, lui laissant entendre ce qu’elle voulait.
Sourire auquel elle répondit.

- En effet, je parlais bien de la musique. En même temps, c’est de notre génération, je ne devrais donc pas être surprise que ça vous plaise.

J’haussai un sourcil, en la regardant un peu plus attentivement. Ouais, elle devait avoir environ l’même âge que moi. Je fis une légère grimace. Parce que tout ça ne me rajeunissait pas.  Et je vis son sourire s’étirer.

- Je sais c’que vous vous dites, que tout ça ne nous rajeunit pas !
- Sans blague !

Et quoi ? Elle lisait dans mes pensées la miss ?? Je lui lançais un regard en biais.

- Vous êtes nouveau dans le coin n’est-ce pas ?
- On n’peut décidément rien vous cacher, dis-je d'un ton narquois avec un sourire forcé.

- J’dis ça parce qu’il suffit d’être un peu observateur pour s’en rendre compte. La façon dont vous regardez autour de vous, et même la façon dont vous buvez votre verre. Mais j’avais une chance sur deux de tomber juste. Vous auriez aussi pu être un client du Wild world, et être surpris par le changement.

Je pris le temps de répondre, parce que j’étais pas sûr d’avoir envie de faire la conversation. Mais en même temps, plus j’en saurai sur le coin, mieux ça serait non ? Alors autant montrer patte blanche.

- Le Wild World ?
- Oui, c’était le nom de ce bar avant, le style était différent et la clientèle aussi. Des bikers pour la plupart qui s’étaient un peu accaparé l’endroit pour en faire leur… QG.
- Et il s’est passé quoi pour qu’il se transforme en bar pour les nostalgiques de bons vieux rocks des années 70 et plus ?

J’avais avisé le nom du bar accroché  bien en vue au milieu des bouteilles sur le présentoir, le Rocky’s, et j’avais supposé que c’était lié au genre de musique qui passait dans les haut-parleurs du bar. La nana se pencha pour s’appuyer sur le comptoir, sur ses deux coudes et sourit de plus bel à ma question :

- J’en sais rien, le patron qui tenait cet endroit s’est tiré, et j’ai pu racheter le tout pour une bouchée de pain. Parce que moi aussi j’suis nouvelle dans l’coin, précisa-t-elle.

Je la dévisageai, tout en pensant que c’était pas ma veine. J’aurai préféré avoir affaire à une nana qui connaissait bien le coin, tant qu’à taper la discussion.

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Donc.. elle était nouvelle, moi aussi, rien de très intéressant sous le soleil en somme ! Jusqu’à ce qu’elle sorte un objet de sa poche, gardant toujours cette attitude nonchalante et ce sourire de celle qui avait encore envie de tailler une bavette.

- Sauf qu’il m’a laissé ça avant d’partir ! dit-elle en déposant…. Une balle de gros calibre sur le comptoir. Une balle de fusil qui au premier regard avait l’air tout à fait normal. Et moi j’me méfiai pas parce qu’elle avait la même teinte que n’importe quelle autre balle de ce type.
- C’est un souvenir original ! Un message caché ? dis-je en plaisantant tandis que ma main se tendait vers la balle.
- On peut dire ça, répliqua-t-elle avec un sourire en coin.

Et dès que ma peau entra en contact avec la balle, je sentis une fulgurante brûlure marquer mes doigts. Ma réaction fut instantanée. Je jurai en retirant immédiatement ma main pour la secouer, réaction instinctive de tout gars qui vient de se brûler la patte. Sauf que….. j’avais pas été brûlé par de la chaleur, non, mais parce que la balle habilement déguisée sous une couche de peinture, était en fait en argent.

Et avant que je ne comprenne quoique ce soit, la gonzesse tira une winchester de derrière son comptoir pour me viser, en chargeant son fusil aussi sec. Et je compris alors qu’elle m’avait piégé. L’argent ! Putain de merde, je m’étais fait avoir comme un bleu. En même temps, j’étais un bleu, parce que vous voyez, j’avais encore jamais été dans une situation où c’était moi le monstre face à quelqu’un qui avait le doigt sur la gâchette.
Loin de me démonter, une fois remis de ma surprise, je lâchai un soupir, jetant un œil à mes doigts un peu brûlés mais déjà la douleur s’amenuisait.

- Bravo, bien joué le coup de la balle camouflée, dis-je le plus tranquillement du monde.
- J’étais sûre que t'en étais un toi aussi, cracha-t-elle avec mépris, l’expression plus du tout avenante. - Cet endroit grouille de loups-garous et comme j’avais jamais vu ta tronche avant, je m’suis dit à voir ton allure que t'étais une de ces sales créatures, revenues rôder dans l’coin.

Je m’esclaffai, déstabilisant quelque peu mon interlocutrice qui pourtant continuait de tenir fermement son fusil.

- J’croirai m’entendre. Bon ok, vous avez gagné ! Je fais à mon grand regret, aussi partie du club désormais. Comme toutes ces créatures que j’ai abattues pendant des années, je suis devenu un monstre moi aussi, conclus-je d’une voix de plus en plus basse, affichant une expression des plus sombres.
- Arrête ton baratin, m’intima sèchement ma charmante interlocutrice. Ca prend pas avec moi, depuis le temps, j’ai appris à vous reconnaître, vous autres, et toutes ces créatures qui massacrent sans remords de pauvres innocents.
- Ouais, je sais….je l’sais que trop bien. Alors écoute, vas-y, tire….qu’on en finisse. Au fond, ça m’arrangerait, dis-je d’un air plus sombre encore.

Et je devinai, plus que je ne le vis qu’elle l’aurait fait sans la moindre hésitation, si la porte d’entrée, ne s’était pas ouverte à cet instant précis. Me foutant du fait qu’on me tenait toujours en joue, je tournai la tête par-dessus mon épaule, pour remarquer d’abord la fille, une jolie blonde, en jean et perfecto de cuir noir, jeune qui bavardait joyeusement avec….

- Putain!! Bobby ??

Sortir du trou

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Bordel ! Qu’est-ce que Bob Maclane foutait ici ??
Et lui eut l’air aussi surpris que moi de me voir. Enfin ça devait être parce que la gonzesse me tenait en joue avec son fusil. Et elle aussi avait l’air surprise, nous regardant à tour de rôle, tout autant que la blonde qui avait cessé de rigoler et qui au geste qu’elle eut, glissant sa main dans son dos, me laissa deviner qu’elle aussi était armée.

Je me redressai, abandonnant mon tabouret, pour étreindre mon vieux pote.

- Bon sang si j’m’attendais à te voir ici !
- Ouais ben si tu veux tout savoir, on m’a dit où te trouver, rétorqua Bob en répondant à mon accolade avec beaucoup plus de retenue.
- Quoi ??
- Bob !!! éloigne-toi de lui !!! c’est un putain d’loup-garou !!! Lou, toi aussi !!!

Mais Bob n’avait pas bronché. Il me regardait de cet air impénétrable, sans sourire, avant de soupirer et de regarder en direction de la patronne du bar.

- Rakel, baisse ce fusil, tu veux bien ? Ce serait con que quelqu’un soit blessé par une balle perdue.

J’affichai un large sourire pour la dame, content d’avoir un allié pour le coup, même si….j’oubliais pas ce que je venais d’entendre. Mon regard revint à lui.

- Qui t’a dit que j’étais ici ?
- A ton avis ? Répliqua Bob avec son éternel ton revêche.

Je restai un instant pantois. Il n’y avait qu’une seule personne parmi mes anciennes relations qui savait que j’étais ici. Et c’était celle qui m’avait envoyé dans cette ville.

- Mallory, marmonnais-je un peu déçu de voir qu’elle faisait si peu de cas de ma vie privée.
- Mais Bob, protesta Rakel très peu décidée à obtempérer. C’est un lycan !!!
- Ouais, j’suis au courant.

Mon regard s’écarquilla un instant puis je grommelais des jurons tout bas, en revenant récupérer mon verre de Whisky que je vidai cul sec avant de le faire claquer sur le comptoir.

- Rakel….. donc, vous voudriez bien m’en remettre un ? Promis j’ai pas l’intention d’vous faire de mal…. Et j’ajoutai d’un ton las : S’il vous plait….

Bob vint me rejoindre, s’installant sur le tabouret d’à côté, tandis que je me laissai tomber sur le mien, venant à moitié m’affaler sur le comptoir. J’étais furieux contre Mallory, et surtout honteux, tellement honteux que mon vieil ami sache que j’étais désormais moi aussi un monstre, preuve flagrante de mon échec et de ma stupidité.

Bob fit signe à Rakel de laisser tomber, tandis que la dénommée Lou passait derrière le comptoir pour se servir elle-même non sans nous servir nous aussi, et nous scruter de son regard brun. Enfin c’était surtout moi qu’elle scrutait, comme s’il allait soudain me pousser des poils sur la gueule. Bon c’est vrai, j’en avais déjà quelques uns.

- Bordel de merde, Jack, comment t’as fait pour te faire avoir, toi ??

Je grommelai à nouveau dans ma barbe, avant de lever les yeux sur la patronne qui même si elle avait baissé son arme, la gardait toujours en main.

- C’est obligé de déballer tout ça devant elles ?
- Elles font partie de la maison, alors si tu veux qu’elles te fichent la paix, vaudrait mieux tout leur dire à elles aussi.
- Quoi ? Toutes les deux ?

De la maison, des chasseuses donc…..Merde ! En même temps, l’autre avait un instinct trop sûr pour que ça soit juste dû au hasard. La dénommée Lou ouvrit la bouche à son tour :

- Ça t’pose un problème ??

Han elle était hargneuse la miss. Je fis un sourire grimaçant.

- Non aucun, aucun problème !
Et je soupirai résigné.
- Ok, ok ! Donc Mallory t’a tout raconté !
- Pas dans les détails mais ouais. Alors ? Comment ça a pu t’arriver à toi ? hein ??

Sa voix était lourde de reproche.

- J’ai été stupide, grommelais-je non sans glisser un regard vers Rakel. J’étais sur les traces d’un loup garou, dans un coin perdu de je sais même plus quel bled. Y’avait eu plusieurs meurtres dans la région, et les journaux causaient d’attaques de bêtes sauvages. Le truc habituel.

Je soutins un instant le regard de la miss Rakel. Ouais moi aussi j’étais de la maison, ce qu’elle avait peut-être déjà compris à entendre notre conversation avec Bob. Je me plongeai à nouveau dans la contemplation béate de mon whisky que la fille, Lou avait poussé vers moi.

- J’ai pas fait assez attention, les nombreux meurtres, la ferme…. J’ai eu le loup garou que je croyais responsable de tout ça, sans aucune difficulté. Sauf que j’savais pas qu’il y en avait un deuxième et je me suis fait surprendre. Il m’a attaqué, je l’ai blessé, puis il a filé sans demander son reste, non sans me laisser son cadeau empoisonné.

Je tirai sur la manche de mon manteau, révélant la cicatrice qui elle n’avait jamais disparu de mon poignet. La blessure avait complètement guéri, mais la marque maudite était restée.

- J’ai été très con sur ce coup, j’sais… j’ai foncé tête baissée, j’ai pas été assez prudent. Voilà, tu veux savoir quoi d’autres ? Que c’est Eryn qui m’a tiré de là ? Qu’elle a refusé de m’achever, malgré toutes les fois où je le lui ai demandé ? Que je l’ai supplié ? Que je suis devenu une pauvre merde obligée de s’enfermer dans une cellule à chaque pleine lune ? Que je sors jamais sans mon petit tranquillisant au cas où j’devrais me transformer ?
- Putain Jack ! ….le ton était accablé. Et Bob n’ajouta plus rien, se contentant de vider son verre en silence.

Il était fâché c'est clair, mais il y avait autre chose, comme s’il regrettait lui aussi et qu’il avait mal pour moi. Mouais, j’avais pas besoin de sa pitié, ni de celle de ces nanas. Je me redressai, lâchai quelques billets sur le comptoir.

- Désolé pour le dérangement les filles. J’crois que j’ai assez parlé pour ce soir.

Et sans attendre, puisque de toute façon apparemment Bob savait où me trouver, je quittais le bar, l’air des très mauvais jours, et surtout triste de ce que j’avais lu sur le visage de mon vieil ami.